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Dans « El perro », chanson de l’album « Segundo », de Juana Molina, un aboiement obsédant

Retrouvez tous les épisodes de la série « Des œuvres qui ne manquent pas de chien » ici.
Un chien seul dans un appartement. Il aboie sans cesse, obstinément. Jusqu’au retour de celle ou celui qui l’a laissé ainsi. Ce jappement obsédant agresse les oreilles du voisinage. De cette petite histoire banale, la chanteuse et musicienne argentine Juana Molina a fait une chanson, une composition de pop-folk électronique intrigante et drôle : El perro (« le chien »). Elle figure dans son deuxième album, Segundo, paru initialement en 2000 sur le label argentin Blabla Discos, sous-label de Fragil Discos, réédité en 2021 par Crammed Discs dans une version remasterisée, accompagnée d’un livret.
Sur une musique de synthés ondoyants en boucles dansantes surlignées d’un fil rythmique de samba et ponctuées de l’aboiement régulier d’un chien, Juana Molina chante en espagnol d’une voix murmurante : « Que faire avec ce chien qui aboie par la fenêtre/ça fait longtemps qu’il me fatigue ». Elle interpelle la propriétaire. A sa réponse (« mon chien n’aboie pas ») elle trouve une solution radicale, enregistre cet irritant quatre pattes et en diffuse le son toutes les nuits pendant un mois.
L’histoire finit bien. « Le chien n’aboie plus, elle l’emmène partout avec elle, il est content », conclut Juana Molina dans la chute de cette chanson de 6 minutes et 40 secondes. L’une des plus savoureuses de Segundo, un album qui sera le tremplin de sa carrière internationale.
Née à Buenos Aires en 1961 d’un père chanteur de tango, Horacio Molina (1935-2018) qui lui apprend la guitare et de l’actrice et mannequin Chunchuna Villafañe, Juana Molina a d’abord mené une carrière glorieuse d’humoriste et comédienne à la télévision argentine, avant de se défaire de ce rôle qui ne lui convenait plus et de choisir la musique comme terrain de jeu.
Après un premier album, Rara (1996), dont elle avoue elle-même l’échec, elle va faire montre d’une créativité singulière dans Segundo. Une singularité d’abord incomprise en Argentine où les médias vont commencer à s’intéresser à sa nouvelle personnalité artistique, seulement quand la presse internationale l’érige en figure du son avant-gardiste de l’Argentine, après la parution de ce lumineux Segundo et les concerts qui l’accompagnent, au Japon, aux Etats-Unis, en Europe. Un album dont David Byrne, l’ancien leader et chanteur du groupe new-yorkais Talking Heads, qui l’embarque en 2003 pour faire la première partie d’une tournée aux Etats-Unis, dira alors que c’est un des meilleurs disques de tout ce qu’il a entendu. « Depuis le moment où Segundo a pris forme, j’ai emprunté un chemin que je n’ai toujours pas abandonné à ce jour. Voilà pourquoi il est si important pour moi », explique Juana Molina. Il contient en germe tout ce qu’elle a fait depuis, dont l’hypnotique Halo (2017, Crammed Discs), son septième album.
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